La France coloniale: la France d’Outre-Mer aperçue de l’Hexagone

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https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/le-temps-du-debat-du-lundi-24-aout-2020

Dans toutes les vieilles colonies, il y a toujours des vestiges d’un ressentiment anticolonialiste et anti-métropolitain. Selon un institut de recherche basé à Montréal, il y a un sentiment anti-métropolitain très fort en Guadeloupe, et un immigré européen qui n’est pas français serait mieux accueilli par la société Guadeloupéenne qu’un Français de l’Hexagone. En 2013 en Martinique, 64 descendants d’esclaves ont demandé des réparations à cause de l’esclavage (Yves). A Mayotte en 2018, après une vague de protestations demandant l’expulsion d’immigrés originaires des îles Comores, le gouvernement de la métropole a déporté un grand nombre de Comoriens (Muisyo, 2018). Le gouvernement de l’île de Moroni a refusé d’ accepter ces immigrés parce qu’ils insistent sur le fait que Mayotte fait partie des Îles Comores, et non pas d’un territoire français.

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Ericka Bareigts By Alain Busser – Own work, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=20286476

Une autre contradiction entre l’Hexagone et les départements est évidente à Mayotte, où 95% de la population est musulmane. Dans l’île, il y a une relation de laïcité bien établie entre l’Islam et le gouvernement, et depuis la départementalisation de l’île, les habitants ont voté pour plus de séparation entre l’état et la religion. Je montre ici deux titres de journaux, l’un international sur l’Islam (Lajarge, 2016), et l’autre un journal laïque de Mayotte (Mayotte Hebdo, 2014). Toutes les sources que j’ai trouvées confirment qu’il y a une séparation bien établie entre l’État et la religion, et que la plupart de sa population est pour la séparation des deux. Les résidents de Mayotte sont musulmans, Africains, et ultra-nationalistes français. Il est ironique que le Front National dise que l’identité culturelle des habitants de Mayotte n’est pas compatible avec la France.

Cette division idéologique entre la France métropolitaine et la France d’outre-mer est un produit du manque de représentation des départements d’outre-mer dans l’Hexagone. Érica Bareigts, Maire de Saint-Denis de la Réunion et Ministre d’outre-mer pour le gouvernement français, se plaint que depuis qu’elle est à l’Assemblée Nationale pour parler des problèmes spécifiques des DOM, personne ne fait attention à ces problèmes parce qu’ils ne font pas partie de l’expérience collective de la France hexagonale (Laurentin, 2020).  Bareigts a été chargée des négociations entre la Guyane et le gouvernement français après une série de protestations, et elle insiste que la Guyane, comme d’autres territoires, n’a pas de vraie égalité avec l’Hexagone parce que la qualité des services publics n’est pas égale à celle de la France. Une preuve de cette inégalité est quand le gouvernement français a fini le lockdown après que la crise de COVID-19 avait été contrôlée en Europe. L’ouverture de l’économie et des établissements a été catastrophique pour la Guyane. Ce département partage sa frontière avec le Brésil, où le virus est toujours incontrôlé.

Justin Daniel, professeur de sciences politiques à l’Université des Antilles, croit que l’égalité entre la France d’outre-mer et l’Hexagone est un concept pour lequel on doit toujours se battre (Laurentin, 2020). Par exemple, les quatre anciennes colonies – la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte et la Réunion – ont été départementalisées en 1946, quand le gouvernement français a commencé son projet d’établir une relation d’égalité entre tous ses territoires. Néanmoins, juste en 1997 le gouvernement a passé la loi d’égalité sociale entre les territoires, et juste récemment il a passé le décret d’égalité réelle (Laurentin 2020).

Daniel, Bareigts et Belfort croient que cette négligence du gouvernement est partiellement un produit du manque de représentation de la France d’outre-mer dans les médias métropolitains. En 2017, la télévision française publique a établi un accord de visibilité qui détermine un minimum de représentation médiatique des DOM-COM. Toutefois, Daniel défend qu’il faille aussi penser à quel type de représentation ces territoires reviennent, parce que les médias ne couvrent que des histoires sur des désastres climatiques, des problèmes sociaux et des crises politiques. Daniel croit que la situation est telle parce que l’outre mer n’existe pas dans l’imaginaire collectif et que ces territoires ne sont que des caricatures stéréotypées de régions exotiques et instables. Belfort croit que même avec l’accord de visibilité, il faut que les médias ne soient pas sensationnalistes en rapportant l’histoire d’ outre-mer, et qu’ils représentent la richesse culturelle et socioéconomique de ces peuples. Daniels craint que, sans ce changement, les Français de l’Hexagone continuent à penser à la France d’outre-mer comme un fardeau économique de sous-développement (Laurentin, 2020).

Il est ironique que les Français dans l’Hexagone pensent aux territoires d’outre-mer comme fardeaux, étant donné que ces territoires sont la raison pour laquelle la France est devenue un empire colonial. L’exploitation de ces vieilles colonies est la raison pour laquelle les Martiniquais demandent des réparations.

Peut-être la perception hexagonale des colonies changerait, s’il y avait une discussion plus intensive de la période coloniale dans les écoles françaises. Sophie Dulucq nous montre qu’ en 1960 le sujet de la période de colonisation était enseigné comme une période dont les Français étaient fiers, mais depuis la Guerre d’Algérie, cette dynamique a changé (Playback Presse). Lorsque la gauche avait honte des atrocités coloniales, la droite avait honte de la perte territoriale. À partir de 1980, donc, ce sujet était souvent ignoré dans les écoles (Quentel, 2018).

Le problème de l’enseignement de la période coloniale a été soulevé en 2005, quand l’Assemblée Nationale a passé une loi qui demandait que les écoles enseignent les « bonnes valeurs » et les conséquences de la période colonialiste française. Cette loi a causé une série de protestations dans l’Hexagone, ainsi que plusieurs émeutes. Finalement, le président Jacques Chirac a annulé la clause quatre du projet de la loi révisant le mandat pour que les écoles enseignent la colonisation sous un angle positif (The Conversation, 2016).

Après cette crise, le gouvernement a aussi changé la structure du programme éducatif pour incorporer des chapitres sur la période d’esclavage aussi que sur les problèmes et les injustices du colonialisme. Cette décision a visé d’améliorer les tensions inter-ethniques dans le pays à travers d’une meilleure compréhension du passé de la France. Néanmoins, cet objectif  n’a pas été atteint et les émeutes et les mouvements anti-migratoires ont continué. Selon une série de recherches conduites par le Musée national de l’histoire de l’immigration, un grand nombre de professeurs évite de toucher sur le sujet colonial parce qu’ils ne se sentent pas suffisamment préparés pour enseigner ce sujet à leurs élèves. Par ailleurs, plusieurs professeurs ne savent pas comment enseigner ce sujet à leurs élèves dans la banlieue parce qu’un grand nombre d’élèves sont descendants d’un peuple qui a souffert les conséquences de l’immigration.

En analysant les spécificités culturelles, socio-économiques, et politiques des départements d’outre-mer, ainsi que les décalages socio-économiques entre la Métropole et les DOM, on peut conclure qu’il y a des barrières entre l’Hexagone et les départements d’outre-mer.

Pour que ces barrières soient brisées, il faut que le gouvernement français se concentre sur l’augmentation des investissements dans la France d’outre-mer. Il faut aussi cultiver une identité nationale française plus embrassante de sa diversité culturelle. Ce changement doit inclure aussi la ré-imagination du concept métropolitain de la laïcité, ainsi que la conscience collective des conséquences du colonialisme français. Il faut que la France comprenne qu’elle n’est pas juste responsable pour les crimes coloniaux, mais aussi une victime du colonialisme.  Sans reconnaissance de diversité culturelle, historique, et géographique de la France, la réalité des départements et des territoires d’outre-mer sera toujours incompréhensible dans l’Hexagone.